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Une étincelle dans vos iris
10 octobre 2009

Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke (quatrième lettre, 16 juillet 1903, extraits)

"Très cher Monsieur Kappus, j’ai laissé longtemps sans réponse une lettre de vous. Non certes que je l’eusse oubliée ; elle est de celles qu’on relit toujours quand on les retrouve. Je vous y ai vu de tout près. Je parle de votre lettre du 2 mai ; vous vous en souvenez certainement. La relisant aujourd’hui dans le grand calme de ces lointains, votre beau souci de la vie m’émeut encore plus qu’à Paris, où tout résonne autrement et se perd dans le bruit assourdissant qui fait vibrer toutes choses. Ici, où un pays puissant m’entoure, sur lequel traînent les vents des mers, je sens que sur ces questions et ces sentiments qui ont dans leur tréfonds une vie propre, nul homme ne saurait vous répondre. Les meilleurs se trompent d’ailleurs dans leurs mots quand ils leur demandent d’exprimer le subtil, parfois l’inexprimable. Je crois cependant que vous ne resteriez pas sans réponses si vous vous teniez à des choses comme celles qui refont actuellement mes yeux. Si vous vous accrochez à la nature, à ce qu’il y a de simple en elle, de petit, à quoi presque personne ne prend garde, qui, tout à coup, devient l’infiniment grand, l’incommensurable, si vous étendez votre amour à tout ce qui est, si très humblement vous cherchez à gagner en serviteur la confiance de ce qui semble misérable, – alors tout vous deviendra plus facile, vous semblera plus harmonieux et, pour ainsi dire, plus conciliant. Votre entendement restera peut-être en arrière, étonné : mais votre conscience la plus profonde s’éveillera et saura. Vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre coeur. Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses."

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https://youtu.be/rInVE01n_Tw
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